Dans quelle mesure le fait que Deleuze et Guattari aient écrit à deux a-t-il été déterminant pour leur pensée ? Il y a d'autres cas semblables, comme Marx et Engels, mais la particularité de Deleuze-Guattari vient de ce que leur association a permis de lier l'élaboration des concepts et la vérification de leur efficacité dans la pratique sociale. En général, les gens qui travaillent ensemble sont du même univers. Or, Deleuze et Guattari appartenaient à deux filiations qui n'étaient pas destinées à se rencontrer. Leur «connexion» illustre à merveille l'un de leurs concepts centraux: le monde comme prolifération de flux et la nécessité de «couper» les flux par la rencontre avec d'autres flux ici, la coupure de flux, ce fut 68. Gilles Deleuze venait de l'univers classique de la philosophie universitaire, Félix Guattari avait été formé par la psychiatrie, la psychanalyse et le militantisme politique. Son rôle est crucial et ceux qui tentent de «déguattariser» Deleuze commettent un contre-sens absolu: si Deleuze a tenu la plume, Guattari était présent tout au long du processus d'écriture, par les textes à l'état brut que Deleuze lui demandait d'écrire chaque jour et de lui envoyer aussitôt, sans les relire ou dans les longues séances de mise au point particulièrement joyeuses et exigeantes. Leurs livres sont loin du spontanéisme qu'on leur prêtait. Ils respectaient une distance, se vouvoyaient et ne s'interrompaient pas, chacun devait écouter l'autre, cherchait à être convaincu
Interview
«Penser la notion d'événement»
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par Eric Aeschimann
publié le 20 septembre 2007 à 9h43
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