George Orwell lui-même n'en reviendrait pas : les Birmans qui connaissent son fameux 1984 - et ils sont nombreux - n'hésitent pas à dire que c'est un texte visionnaire. A leurs yeux, ce qui se passe dans leur pays depuis près d'un demi-siècle, c'est simplement la mise en pratique, grandeur réelle, de ce que l'auteur imaginait être une fiction. Toujours selon ces connaisseurs avertis, depuis le coup de force militaire de 1962 et la succession des généraux à la tête d'une junte sans visage, pas de doute, ils vivent dans un univers orwellien sous la férule d'un Big Brother aux traits insaisissables. Est-ce parce qu'Eric Blair a personnellement connu, dans les rangs de la police britannique, l'atmosphère étouffante et les turpitudes de la société coloniale que le jeune homme d'à peine 24 ans dégoûté de tout a claqué la porte de l'Establishment pour aller voir ce qui se passait ailleurs ? Ou bien, en prenant le pseudonyme de George Orwell pour entrer en littérature, le futur écrivain voulait-il - sans en avoir pleinement conscience, comme il n'est pas rare de le faire en Birmanie - changer de nom pour changer de vie ?
La vieille coutume est toujours d'actualité : il suffit de rappeler la décision des militaires, dans le sillage de la répression de 1988, d'imposer le nom de Myanmar au lieu de Birmanie et, plus récemment, de déménager au débotté la capitale de Rangoun pour la calfeutrer dans une vallée boisée au milieu de nulle part, la baptisant Naypyidaw pour mieux s'y te