Une histoire de l'Europe est-elle possible ? Le pari, à dire vrai, semble bien hasardeux, tant la réalité géographique d'un continent dont on ne sait quelles frontières le bornent apparait imprécise. Le second conflit mondial a, par surcroît, amplifié l'atomisation d'un espace divisé, guerre froide oblige, entre l'Est et l'Ouest. Ces deux constats paraissent donc condamner l'idée même d'un récit unitaire : l'histoire de l'Europe se bornerait à juxtaposer la description de destinées nationales.
La formidable synthèse que Tony Judt, historien anglo-américain, consacre à notre vieux continent apporte pourtant un cinglant démenti à cette vision pessimiste. Non que l'auteur, averti des réalités européennes, pèche par esprit de système. Après le cataclysme déclenché par le nazisme, chaque pays a, au fond, cherché sa voie, réglant à sa manière la délicate question de l'épuration, tentant d'encadrer, qui par les nationalisations, qui par l'économie sociale de marché, la vitalité souvent sauvage du capitalisme - Staline fournissant à l'Est des réponses plus tranchées.
Ruines. Les divisions, surtout, s'exacerbèrent, entre les démocraties populaires, fortement arrimées à Moscou malgré les révoltes de Berlin-Est (1953), de Budapest (1956), voire de Prague (1968), et un Occident que Washington releva de ses ruines grâce au plan Marshall avant de lui offrir sa protection militaire via l'Otan. Toutefois, même l'Occident ne parvint pas à s'unir, les Britanniques tentant de saborder le projet