C'est une maison en bois peint, au bord de la forêt, avec un auvent à colonnades, des fauteuils en rotin et des fenêtres à carreaux dont l'irrégularité atteste l'ancienneté. «Elle date de la fin du XIXe», autant dire des siècles pour les Etats-Unis. A quelques milles au sud de la ligne de Sécession, la Caroline du Nord est le pays des dynasties du tabac et du patriotisme militaire. Presque l'Amérique immémoriale. Mais gare aux apparences : ici habite un dangereux marxiste.
Fredric Jameson, colosse jovial et légèrement voûté, s'enquiert, dans un français parfait : «Dites, cette grève, en France, est-ce que ça va donner quelque chose ?» Suzanne, sa femme, tatouage sur la gorge et piercings aux oreilles, est plus directe : «Alors, est-ce que le marxisme va renaître en France ?»
Difficultés. Avec quinze ans de retard, Fredric Jameson, 74 ans, est traduit pour la première fois en France, à l'initiative simultanée de trois petites maisons d'édition. Le fossé entre la pensée française, obnubilée par son rejet du marxisme, et l'effervescence des humanities (sciences humaines) américaines, n'est pas nouveau. Remontant aux années 80, il a commencé à se combler - lentement - depuis une poignée d'années. Mais le cas de Jameson s'est heurté à deux difficultés supplémentaires : un objet d'étude désarçonnant - les trois livres traduits traitent, d'une façon ou d'une autre, de «la postmodernité», un thème qui suscite peu d'intérêt en France - et le choix d'y appliq