La timidité intimide. Linda Lê ne déroge pas à son image publique. Silhouette quasi mutique : murmures troués de blancs, regards liquides glissant dans les méandres de la pensée. Dans le calme de son petit appartement parisien, et ses fines cigarettes aidant, l’hôtesse est sans doute plus diserte, souriante aussi.
Ce qui frappe d'emblée en rencontrant l'auteure des Evangiles du crime est son extrême cohérence. Cette impression qu'elle fait corps avec ses livres. Que ce soient ses histoires (les Aubes, Personne) ou ses essais (Tu écriras sur le bonheur, un recueil de préfaces aux oeuvres d'Amiel, Kawabata, Flann O'Brien ou Marina Tsvetaïeva), il est toujours question de personnes debout, qui résistent avec entêtement, désespérément. Sola, l'héroïne de son dernier roman, In memoriam, est «une maquisarde» des lettres, le narrateur raconte et pleure la romancière suicidée : «La littérature de Sola dénonçait la trêve que nous concluons benoîtement avec nous-mêmes, pour nous en tenir au pis-aller.»
«Epanchement». Les livres de Lê revêtent une tonalité précieuse (la romancière avoue son «peu de goût pour le style débraillé»), ils ont quelque chose du hiératique théâtre d'ombres. Foin du naturalisme ! «La grande lectrice de Nerval que je suis croit bien plus à l'épanchement du rêve dans la réalité qu'au réalisme.» Comme dans ses précédents romans, elle a ciselé un univers mental où les êtres souffrent de s'incarner ; happés par l