Introduite dans le débat public dans les années 80, dans une logique de substitution à la revendication d'égalité de conditions portée par la gauche européenne depuis plus d'un siècle, l'«égalité des chances» s'est imposée progressivement comme compromis acceptable entre la demande d'épanouissement de l'individu et les exigences de l'économie de marché. Pourtant, le concept n'a pas tenu ses promesses : plus on parle d'égalité des chances, moins celle-ci semble se réaliser. Dans son ouvrage, Patrick Savidan, philosophe et fondateur de l'Observatoire des inégalités (1) explore les fondements théoriques de l'égalité des chances, en livre les contradictions internes et, sans la rejeter, propose d'en modifier l'économie générale.
En quoi l'égalité des chances est-elle contradictoire ?
L'égalité des chances fonctionne sur le mérite. Dans l'Ancien Régime, les honneurs et la richesse étaient répartis selon la naissance. Tout le combat de la modernité a imposé le mérite comme critère de partage. L'égalité des chances, c'est permettre à chacun d'accéder à une position dans la société qui corresponde à son effort et à son talent. Mais une telle évolution n'était possible qu'avec un profond renouvellement de la conception de l'être humain, qui a amené peu à peu les individus à se penser comme propriétaires de leur force de travail, de leur talent, et donc des biens qu'ils en tirent. Pour être crédible, l'égalité des chances nécessite cependant un système de redistribution qui corrige les