[Nous republions cette interview, après la mort du philosophe dans la nuit du 9 au 10 novembre 2015]
Il fut le premier parmi les intellectuels de gauche français à appeler publiquement à voter pour le candidat Nicolas Sarkozy, alors héraut d'«une politique extérieure plus engagée sur la démocratie et les droits de l'homme». André Glucksmann revient pour Libération sur le bilan diplomatique du nouveau président français, apparemment bien loin de ses promesses de campagne.
Avez-vous été gêné par l'accueil donné à Kadhafi ?
Je critique le décorum grotesque et pas le principe de la visite. Mais bravissimo ! La presse et l'opinion se sont réveillées. Pour la première fois, les droits de l'homme et la diplomatie occupent le devant de la scène. Comme l'avait promis Sarkozy, la politique extérieure n'est plus le «domaine réservé» : elle entre dans les turbulences d'un débat public. Fini le secret et l'indifférence ! Souvenez-vous, 1994, en pleine tourmente du génocide des Tutsis au Rwanda, Mitterrand reçut les dirigeants exterminateurs venus de Kigali, l'hospitalité officielle et scandaleuse n'émut pas grand monde. En douze ans de guerre de Tchétchénie, idem. En 2000, pendant qu'il rasait Grozny (450 000 habitants), Poutine eut droit au tapis rouge. Pas d'émotion spéciale pour sa réception en 2003 à l'Académie française. En 2006, quand Chirac épingle la grand-croix de la Légion d'honneur sur la poitrine dudit, quinze jours avant le meurtre de mon amie Anna Politkovskaïa, pas d'émoi. Rien à voir avec le tollé soulevé