C'est un tout petit livre, mais qui part à l'abordage d'une question immense. Un livre qui ne ressemble à rien de connu, audacieux, véhément, captivant même lorsqu'il agace : dans ces pages-là, on croit à la force des idées. Un livre dont le titre donne la quintessence : oui, des larmes ont bien été versées en Sibérie, congelées comme un bon gros mammouth, et qui reviennent aujourd'hui. Mais quelles larmes ?
La philosophie-fiction commence ainsi : «Au printemps 1854, après ses quatre années de bagne, Dostoïevski fut envoyé comme simple soldat à Semipalatinsk, dans le sud de la Sibérie.» Là-bas, l'écrivain se lie avec le procureur du lieu, Wrangel. Lequel, dans ses Mémoires (inédits en français mais pas en hongrois), évoquerait des soirées entières à parler littérature et, en particulier, à étudier un livre précis dont il ne donne que le nom de l'auteur : Hegel. L'imagination de Földényi prend alors le relais. «A nous de décider, écrit-il. Disons qu'il s'agissait des Leçons sur la philosophie de l'histoire.» Car, dans ce texte un peu oublié, se trouve une phrase qui, effectivement, aurait eu de quoi faire fondre en larmes le bagnard le plus endurci : présentant les grandes régions du monde, Hegel commence par en retrancher la Sibérie, qui, dit-il, «ne nous intéresse pas ici» car s a «morphologie» l'empêcherait de devenir un«acteur particulier de l'histoire». Traduction : la toundra n'a rien à apporter au monde.
Né en 1952, László F. Földényi v