«La politisation est interminable, même si elle ne peut et ne doit jamais être totale.» La citation est de Jacques Derrida et ouvre la conclusion du livre de Daniel Bensaïd. La politique, qu'est-ce, sinon le travail permanent pour rappeler à tous - et d'abord aux puissants - que la société qui fait les hommes, qui désigne qui est riche et qui est pauvre, qui est beau et qui est triste, ne tombe pas du ciel, mais qu'elle est le fruit du travail de tous et qu'on peut donc en discuter ? Refuser la discussion, dire «c'est comme ça» et on ne pourra rien y faire, c'est la posture religieuse. La «politisation», bien au contraire, c'est l'effort constant pour dire que cela peut être autrement et que le ciel n'y est pour rien.
Philosophe, mais aussi membre historique de la Ligue communiste révolutionnaire, Bensaïd est à son aise dans cette vision. En bon trotskiste, il est convaincu «qu'une politique sans partis est aussi inconcevable qu'une tête sans corps». Mais voilà que les choses ont changé : à force de tourner sur nous-mêmes, nous revoici face au ciel. Le sacré revient non seulement à droite, ce qui somme toute est dans l'ordre des choses, mais aussi à gauche, plus précisément dans la gauche mouvementiste, manifestante, utopiste, altermondialiste : cette gauche radicale dont le trotskisme, qu'il le veuille ou non, est devenu aujourd'hui l'une des branches. C'est ce retour-là au sacré qui intéresse Bensaïd, et son livre prend la forme d'un examen serré des di