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Portrait

Russell Banks Ours bien léché

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Pas facile pour le romancier américain, fils d'ouvrier, et lui-même un temps ouvrier, de s'affranchir du cliché de l'ascension sociale.
publié le 12 mars 2008 à 2h40

Catalogué écrivain de l'Amérique pauvre, Russell Banks s'aventure avec son dernier roman du côté des riches. De quoi brouiller encore un peu plus la facile image de «prolo qui a réussi» que cet homme s'évertue à briser. Il s'assoit au bord du siège, sous les lustres des salons de l'hôtel d'Aubusson. N'oserait-il en prendre pleinement possession, devenu écrivain à succès ? Il sourit à l'hypothèse, rejetant ce premier cliché comme il ne cessera de rejeter tous les autres, passant l'heure d'entretien à tenter de se dépouiller des oripeaux dont on tentera de l'affubler, se définissant plus par la défausse que par l'affirmation.

Russell Banks a les traits tirés par une semaine d'entretiens enchaînés sans faille. La veille, il a lu avec Tom Novembre des extraits de son nouveau roman la Réserve au Théâtre de l'Odéon, et s'émerveille de la foule venue nombreuse. Le lendemain, il sera debout tôt pour savoir qui, de Clinton ou d'Obama, a emporté le Texas et l'Ohio. Le teint est rougeaud, la barbe blanche taillée avec soin, la veste de bon goût. La branche des lunettes a creusé un sillon près de l'oreille, qui s'orne d'un petit diamant. Serait-ce là le porte-parole de l'Amérique des déshérités, l'hériter des Dreiser et des Sinclair ?

«Ceux qui disent ça n'ont pas lu toute mon oeuvre», attaque-t-il. Et c'est avec réticence qu'il commence à évoquer ses origines, incontournable matrice d'un parcours atypique. Le père, d'abord : violent, alcoolique, dépressif, qui