Le compositeur américain John Cage posa un jour cette question essentielle : qu'y a-t-il de plus musical, un camion qui roule dans une rue, ou bien le même camion qui passe devant un conservatoire de musique ? L'énigme de l'auteur de Silence rappelle celle du livre de l'artiste Daniel Spoerri, Topographie anecdotée du hasard, qui relate la chronologie d'une de ses tables-piège sur le plateau de laquelle sont figés des objets dans leur ordre d'arrivée, restes de repas, papiers, miettes, rebuts. Ces oeuvres posent la même question : l'art n'est-il pas, après tout, une façon d'arrêter le temps, un vertigineux aller-retour de la conscience, par lequel les humains décuplent leur capacité à exister. Un effet de miroir, en somme, une mise en abyme, une critique.
On a beaucoup parlé, écrit sur le regard - cela a même été une école. Le jeu de l'écrivain se regardant écrire fait partie de notre culture, depuis l'âge baroque. Ce jeu ne remplace pas les sujets plus nobles - la rumeur du Meschacebé, ou les profondeurs insoupçonnées de l'âme -, il les complète, leur donne une autre saveur, un autre relief. Il est l'exercice naturel de l'humain, narcissique, compliqué et vaniteux. Amos Oz, dans un roman original, récemment traduit en français, Vie et mort en quatre rimes, a choisi ce thème : lui-même, c'est-à-dire l'écrivain, nommé tout au long du livre «l'auteur», et parfois même dans les moments d'intimité «notre auteur», rencontre ses «lecteurs» dans une soirée organ