«Abstenez-vous de juger de peur de l'être», «la guerre menée contre ce qui est jeune et nouveau pourrait avoir pour slogan : "Faites profil bas"», «la critique la plus dévastatrice que l'on puisse adresser à un chercheur est qu'il a de "grandes idées".» Voilà quelques-uns des apophtegmes que la situation actuelle des humanities (sciences humaines américaines) inspire à Lindsay Waters. Aussi mordant que dépourvu du moindre soupçon de ressentiment ou de nostalgie, son essai dresse le tableau d'une pensée contemporaine agonisante à force d'être passée aux moulinets de l'évaluation bureaucratique, de l'amour de la servitude, de la haine de la théorie.
«Montagnes».Lindsay Waters dirige le département «sciences humaines» des presses universitaires de Harvard. Il n'est pas le plus mal placé pour décrire le symptôme le plus visible - quoique paradoxal - de l'évolution en cours : l'inflation éditoriale. Jamais on n'aura publié autant d'articles dans les revues spécialisées, autant d'ouvrages savants. «Des montagnes de livres que personne n'aime ni ne lit.» «Lire un article ? Quelle idée vieillotte ! Quelle conception médiévale !» Dans les universités américaines (de plus en plus en France grâce aux réformes en cours), «publier» vise d'abord à décrocher une titularisation. Dans les commissions universitaires, par souci d'objectivité, on va lister, quantifier, mais non plus lire : chez ces gens-là, monsieur, on compte. «Nous nous sommes d'une certaine manière déb