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Libération
Critique

Beurre ou ordinaire

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publié le 15 mai 2008 à 3h27

Durant l'Occupation, le marché noir hanta le quotidien des Français. Ce fut un phénomène économique de première importance. De 20 à 40 % de la production agricole s'évapora, servant à la consommation des paysans, à des ventes aux particuliers ou à des trafics de plus vaste envergure. Jusqu'en 1943, les Allemands, via des bureaux d'achat, contribuèrent à la montée des prix, dérivant vers le Reich quantité de métaux, de cuirs ou de vin. Des Français flairèrent le profit facile, à commencer par les agents de la SNCF, bien placés pour voler les colis (6 à 7 000 agents furent révoqués sous ce chef entre 1940 et 1944). Pères et mères de familles, enfin, sillonnaient la campagne le week-end, espérant améliorer les rations de leurs proches en attendrissant des fermiers inégalement sensibles à cette détresse.

La France se divisa ainsi entre victimes et profiteurs - encore que les mythes ne correspondent pas toujours à la réalité. Tous les agriculteurs ne bénéficièrent pas de la manne, étant eux-mêmes victimes de pénuries qui les empêchaient d'exploiter leurs terres ; tous les commerçants (Jean Dutourd les peignit sous les traits peu amènes de la famille Poissonard) ne disposèrent pas des contacts nécessaires pour monter de fructueuses affaires. En revanche, les intermédiaires s'enrichirent, parfois de façon spectaculaire.

Ces nouvelles segmentations nourrirent des haines inédites, opposant ruraux et urbains, paysans et ouvriers. Elles placèrent Vichy dans une situation délicate. Si l'E