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Libération
Interview

Années 50, années de disette

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publié le 29 mai 2008 à 3h39

Steven L. Kaplan est professeur d'histoire européenne à Cornell University (New York) et à l'université de Versailles Saint-Quentin. Il a été le premier à faire du pain un objet d'histoire totale.

Ce drame du pain maudit est lié à l'obsession du pain blanc. D'où vient cette obsession ?

Depuis le Moyen Age, le blanc distingue la consommation de l'élite de la consommation de la majorité. La blancheur du pain est toujours un marqueur d'ascension - ou de revanche - sociale ou un marqueur de démocratisation. L'histoire de France a d'abord vu la conquête du froment face aux autres céréales. Au XVIIIe siècle, seuls les citadins, minoritaires, mangeaient du pain de froment. Les autres avaient droit au pain de seigle, de méteil (un mélange de seigle et de froment), d'orge, d'avoine, de sarrasin ou de châtaigne. Ensuite, il a fallu en tirer une farine pas trop assombrie par les enveloppes du grain. En 1793, les révolutionnaires, dans leur désir de construire une société égalitaire, ont voulu imposer le même pain à tous. Comme il n'y avait pas assez de pain blanc, ils ont tenté d'imposer le «pain Egalité», un pain bourré de son, infect, que tout le monde a rejeté, y compris les sans-culottes. Comme toujours en France, le bonheur et le bien-être étaient associés au pain blanc. Pareil en 1945 : à la fin de la guerre, après avoir mangé du «pain caca», un pain grossier dans lequel on trouvait de la farine de fèves ou même de la sciure, les gens voulaient du bon pain, du pain blanc. Le