Veronica n'est pas le sujet de Veronica. Veronica est un personnage central du roman de Mary Gaitskill, «un croisement entre Marlene Dietrich et Emil Jannings», mais il n'est pas question d'elle tout le temps. Il est question, essentiellement, d'Alison. Alison a 46 ans, une hépatite C, un fond de fièvre, un bras fichu ; elle transporte aspirine, codéine, bouteille d'eau, et un parapluie rouge du Moma. Il pleut, le roman commence avec la journée d'Alison et se terminera avec elle. Elle s'en va faire le ménage, comme chaque semaine, dans les bureaux d'un amant d'avant. Elle est à son tour «laide et malade», ombre d'elle-même, «vestige de tout ce qu'il croyait désirer» et qu'elle exsude encore. Si elle comprend ça, c'est grâce à Veronica, à qui elle pense souvent, qui est morte du sida il y a une vingtaine d'années. Veronica n'est pas le sujet des réflexions d'Alison, elle en est le nom de code, la clé, le blason.
Alison, lorsqu'elle était mannequin, ressemblait aux héroïnes de Mary Gaitskill dans Mauvaise conduite, son premier recueil de nouvelles, traduit chez Flammarion en 1988 (depuis, elle en a publié un autre et un premier roman avant Veronica) . C'était des cérébrales très bizarres, coincées dans des situations extrêmes : prostitution, week-end avec un sadomasochiste, fessée du patron, humiliations qu'elles avaient plus ou moins choisies et qu'elles vivaient comme s'il ne s'agissait pas vraiment d'elles. Alison, dès ses pre