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Libération
Critique

Périls sans demeure

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publié le 5 juin 2008 à 3h45

La route est interminable et elle mène à un gouffre. Après le périple, pour découvrir «ce que la route pour l'Europe a de plus effrayant que la mort en mer», plus rien ne sera comme avant.

Fabrizio Gatti, qui signe un récit-document troublant, aura troqué son identité de journaliste contre celle du clandestin Bilal Ibrahim el-Habib, abandonné le «je» du narrateur et laissé le dernier mot à deux survivants d'un exil perdant. Comme si le silence résigné n'était plus que l'ultime argument à opposer aux lois absurdes des Etats et aux logiques lucratives des trafiquants.

Cris sourds. En cachant qu'il était journaliste à l'hebdomadaire italien l'Espresso, Fabrizio Gatti a emprunté la route de l'humiliation, des coups lourds et des cris sourds, lors d'étapes risquées sur des camions déglingués et surchargés. Entre Dakar et le centre de rétention de Lampedusa, au large de la Sicile, il a croisé «la diaspora de la meilleure génération africaine, une nouvelle classe sociale dans l'Europe du XXIe siècle où un clandestin est un homme invisible qui ne compte pas, qui n'existe pas».

Pourquoi le cacher, on a redouté au début un trop plein de bons sentiments, une naïveté militante, une mise en scène au service de l'ego. On s'est trompé. Fabrizio Gatti s'est effacé derrière une galerie de rencontres souvent bouleversantes. Des morts-vivants empoussiérés ou prostitués aux portes de l'esclavage, des «stranded» comme ils se présentent : c'est-à-dire des échoués, des lai