Longtemps, savoir et saveur sont restés amis. Le sage, le sophos - ancêtre du philosophe - était celui qui savait et avait bon nez, fin palais, sensible à la saveur pénétrante (sophès) d'un fruit ou d'une épice. Comment est née cette amitié, tôt disparue ? Comment le goût, la saveur, l'incommunicable sensation qu'on a sur la langue, a-t-il pu devenir savoir - évaluation de ce qui est bon ou mauvais, faculté d'apprécier (jouir de, aimer, mais aussi mesurer, juger, analyser.), aptitude à «discerner les beautés et les défauts», puis code, disposition ou représentation culturelle commune (par quoi existe une histoire du goût), enfin qualité esthétique et éthique attribuée à l'«homme de goût» ?
Maturation. Si le goût a lié la langue à l'esprit, le proverbe latin, De gustibus et coloribus non est disputandum, perd sa pertinence : on ne fait que cela, disputer des goûts et des couleurs ! Et de telles discussions n'alimentent pas seulement la conversation courante, la physiologie du goût ou l'histoire de l'art, mais l'histoire tout court, la politique, l'économie. On s'en convainc à la lecture de l'«Essai sur l'industrialisation du goût» d'Olivier Assouly : le Capitalisme esthétique, qui repère l'incidence du goût dans la gestation et la maturation du capitalisme, sinon le devenir même de la civilisation technique.
«Si l'improductivité au sens économique est la valeur fondatrice du goût» - dans la mesure où la consommation, confrontée à