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Libération
Critique

Hagard de l'Est

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publié le 26 juin 2008 à 4h02

Que Gert Neumann ait été interdit de publication, jusqu'à la fin de l'Allemagne de l'Est, nous rappelle que le crime littéraire majeur pour les ennemis de la démocratie est le refus de raconter des histoires. Lorsqu'un dissident raconte une contre-histoire, il est aisé de s'en débarrasser. On dit : vous mentez, ça ne s'est pas passé comme ça. On affronte deux versions de la prétendue réalité et l'on discute de leur vraisemblance. Voilà pourquoi la contre-culture américaine est si politiquement inoffensive : parce qu'elle est «alternative». Il y a le grand récit idéologique du capitalisme, qui se présente comme la vérité. Et il y l'art «alternatif», qui propose un autre récit, en disant que le premier ment. Lequel le disqualifie facilement en répondant à son tour que non, que c'est l'alternatif qui ment et délire (il «fait de la politique» comme disent les sarkosés). Neumann n'a jamais voulu écrire de récits antagonistes. Autrement plus forte est sa position, qui consiste à interroger la langue, la nomination, de sorte qu'on ne puisse plus dire qu'un récit vaut mieux qu'un autre. «Toutes nos paroles reproduisent d'anciennes descriptions» et ne redisent qu'une forme vide, voire létale.

«Forêt».Né en 1942, exclu en 1969 du Parti communiste et de l'Institut de formation pour jeunes auteurs où il étudiait à Leipzig, Neumann a commencé la rédaction des textes qui composent Description d'un échec (titre original : la Faute des paroles) vers le milieu des