Comment peut-on être turc ? Comment peut-on être quoi que ce soit, d'ailleurs, si ce n'est en étant autre ? Contre les littératures nationales, contre l'étrécissement du monde imposé par la peur politique, Enis Batur prouve qu'on n'écrit qu'en prenant «d'autres chemins», en sillonnant sa bibliothèque, en s'égarant consciencieusement auprès des autres. D'une certaine façon, l'autobiographie intellectuelle commencée avec Amer Savoir (2002) et qui trouve son achèvement trilogique dans D'autres chemins se structure autour d'une question qui pourrait être celle-ci : «Comment donner forme à la relation que je puis avoir avec Góngora, avec un vieil ami que je n'ai plus vu depuis vingt-cinq ans, avec ma soeur aînée, avec ma grand-mère morte en 1973, avec un collègue que je n'aime pas du tout mais que je suis amené à rencontrer assez souvent» ?
Doudou littéraire.Où l'on entend qu'écrire (ou créer, plus généralement), c'est douter de la forme du monde, c'est être dans le diapason jusqu'au cou, tirer les choses par la queue et tenter d'en joindre les deux bouts. Où l'on entend aussi que c'est la relation à Góngora qui me permet d'envisager ma grand-mère et que la gueule autosatisfaite de mon voisin de bureau m'introduit à la pensée de Levinas. La troisième partie de D'autres chemins s'ouvre ainsi sur la figure du poète [lui] telle une ombre pliée et greffée à [son] corps et qu'[il] déplie quelquefois pour l'allonger». Mais nul fétichisme dans c