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Libération
Critique

Dame de coeur

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publié le 3 juillet 2008 à 4h09

Deux des plus grands écrivains du XXe siècle se sont suicidés en 1941 : Marina Tsvetaeva et Virginia Woolf. Tsvetaeva avait 49 ans, elle était revenue en URSS en juin 1939, après dix-sept ans d'exil à Berlin, Prague, Paris. Sur le bateau du retour, elle arpentait le pont en se rappelant une idole de sa jeunesse : «J'ai physiquement ressenti Napoléon en route pour Sainte-Hélène.» Quelques mois après, elle se retrouvait seule avec son fils adolescent, Murr ; sa fille aînée Ariadna (Alia), et son mari Serge Efron, ralliés au régime soviétique et rentrés avant elle, avaient été arrêtés. Il y a trop de tragédie, trop de misère, un dénuement absolu, dans la vie de Tsvetaeva.

Et pourtant, ce n'est pas ce qu'on lit dans ces Carnets inédits qui paraissent intégralement, et dans une édition remarquable, avec des photos, des encadrés, des documents. Le don, la force, le raffinement, le travail : l'alambic d'un poète génial. Tsvetaeva est reconnue par ses pairs, Pasternak, Akhmatova, Rilke. Comme tous les créateurs quand ils sont des femmes, elle est cependant obligée de se souvenir sans cesse qu'elle est un génie. Elle a conscience de la «double béance (double vulnérabilité) du poète et de la femme». Dans un poème de 1915, elle dit : «- Dieu, ne juge pas ! Tu n'étais pas / Une femme, sur terre !»

«Vers et enfants».Printemps 1914, à la fin des années heureuses : «De mes poèmes, je suis résolument sûre - aussi sûre que d'Alia.» Eté 1917 : «Dans ma vie,