Un spectre hante l'Europe postindustrielle : l'usine. La grosse, la bonne, la vieille usine n'est plus elle-même. La fabrique fichée dans la ville, populeuse et polluante, coeur d'acier qui pompait chaque jour les forces vives des quartiers populaires, s'est retirée aux périphéries des grandes villes, a taillé dans ses effectifs, a émietté ses équipes - et tout se passe comme si son exode avait laissé un vide. Les ouvriers entrant en masse à l'heure de l'embauche, par exemple, qui avait frappé les frères Lumières, on en retrouve l'écho autant à Billancourt pour Martine Sonnet qu'à Roussel-Uclaf pour Sylvain Rossignol. Indice de ce manque : quand la littérature s'intéresse à ce fantôme et en fait matière à récit, s'il n'est pas question de best-sellers, il arrive que certains trouvent plus de lecteurs qu'attendu.
Sorti en janvier (Libération du 31 janvier), Atelier 62 a été réimprimé deux fois, et l'auteur ne cesse d'être invitée par des libraires ou des comités d'entreprises. Martine Sonnet y raconte la vie de son père, ouvrier à la forge de Renault-Billancourt de 1950 à 1967. Un working class hero qu'on visualise d'emblée sur la photo de couverture. «Veston de bleu de travail grand ouvert, le plus possible, sur le maillot à côtes un peu taché.» Un double chapitrage, en chiffres arabes et en chiffres romains, alterné, retrace une double démarche. De 1 à 24, c'est le récit d'une remémoration personnelle, l'exode depuis l'Orne natal, l'instal