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Libération
Critique

Couronne de pleurs

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publié le 28 août 2008 à 4h46

Qui ou quoi pleure-t-on quand on pleure la mort d'autrui ? C'est le sujet de Lacrimosa, quinzième roman de Régis Jauffret, qui prend la forme classique de la prosopopée, d'un dialogue entre le narrateur et une jeune suicidée qui fut sa maîtresse. Exercice casse-gueule, car qui a été mort pour revenir en parler ? Et, si l'on s'examine sans fard, il faut bien reconnaître qu'en pleurant un mort on ne pleure guère que sur soi : le deuil est un truc dégueulasse. On regrette que le défunt n'ait pas fini de vivre, mais ce qui nous tord est surtout le regret anticipé de ce dont notre propre disparition nous privera, quand bien même nous ne l'aurions jamais mené à bien. Car la mort a ce formidable et paradoxal pouvoir de détruire avec la pire violence ce qui n'aurait jamais eu d'existence. Elle coupe court au possible.

«Supplice».Autant dire que la faucheuse est piètre romancière, voire qu'elle en est le contraire. C'est contre quoi Lacrimosa lutte et agonise, en inventant des possibles et des prolongations à une disparue, en essayant d'échapper à l'autisme de l'endeuillé. Le narrateur, qui se présente comme Régis Jauffret, s'adresse à sa «chère Charlotte» par courrier posthume, lui raconte leur relation, met en scène son suicide dans différentes postures. La jeune femme, d'un chapitre sur l'autre, l'invective depuis le royaume des ombres : «On dirait vraiment que je me suis suicidée pour ton plaisir d'en faire toute une histoire, une histoire sordide comme tu les aimes tant. J