Le Ministère de la douleur, c’est la traduction de The Ministry of Pain, le nom d’une boîte sado-maso de La Haye. C’est aussi un private joke entre les étudiants de la narratrice, professeure de littérature (ex-)yougoslave à l’université d’Amsterdam. Tous travaillent au noir : ils cousent des vêtements de cuir et de latex pour les sex-shops, d’où leur blague favorite, «je travaille au Ministère». Quant à la douleur, c’est la douleur sourde et chronique de celui qui vient d’un pays qui n’existe plus et qui ne peut se réchauffer aux mots de la langue maternelle, puisque c’est la langue dans laquelle le pays s’est déchiré.
Le Ministère de la douleur est le cinquième livre de Dubravka Ugresic, 59 ans, traduit en français, c'est peut-être le plus fort. Dans les précédents, la romancière née à Zagreb parlait déjà de l'exil, mais aussi de Berlin ou du monde de l'édition et des médias américains, dans une langue drôle, percutante et très littéraire. Depuis qu'elle a quitté la Croatie, elle a vécu en Allemagne et aux Etats-Unis, elle est maintenant installée à Amsterdam, sans doute pour un moment, puisqu'elle a acheté l'appartement où elle vit. De sa fenêtre, on aperçoit les coupoles vertes d'une mosquée et les arbres d'un parc. Grande, blonde, impressionnante, Dubravka Ugresic reçoit ses visiteurs avec un mélange de réserve et d'hospitalité. Sur la table, les raisins sont vert tendre et les cerises presque noires.
Tania, la narratrice du