Depuis de nombreux livres, Hélène Cixous tient sa mère en vie par l'écriture. Elle invente, raconte, fait rire cette «Eve» de 98 ans qui fait couple avec sa soeur, Eri : «A force d'être regardées par moi depuis des dizaines d'années, ma mère et ma tante avaient développé en elles des sortes d'actrices délicieuses qu'elles auraient honnies et désavouées si elles les avaient remarquées.» Avec Ciguë, ce travail de vie s'accélère, d'autant qu'Eri a disparu. Et le miracle se perpétue, sans rien perdre de sa beauté ni de son rire : «Je tisse et je tisse je file maman elle suit son cours les nuits surtout sont difficiles je travaille tellement j'ai un sommeil de Titan.»
«Profondeurs».Plus encore que les textes récents de Cixous, Ciguë se présente comme une collection de longs poèmes en prose, dont le thème serait la vieillesse et les métamorphoses que celle-ci fait subir à notre regard. Il ne faudrait pas croire pour autant que le texte est mémoriel, qu'il embaume une figure avec des pincettes. Non, Ciguë est énergisant, bon à manger comme une barbe-à-maman. Ainsi du poème de la «cousine Surdité», où Cixous imagine que la surdité est une «autre» dans sa mère. Le leitmotiv avait été lancé dès l'ouverture du livre : «Maman n'est pas dans maman. Il y a quelqu'un d'autre.» Du coup, le handicap de ne pas entendre se révèle une formidable possibilité de nouveauté, puisque tout ce qui se dit est transformé en autre chose, et «l'idée me vient que ma mère trouve peut-êtr