Pour un écrivain, imaginer qu'on brûle les livres doit être une manière de les sauver. Le 19 août 1936, vingt et un ans avant la naissance de Manuel Rivas, des bûchers sont allumés par les franquistes dans La Corogne, où il est né et où il vit. Dans le Crayon du charpentier, dans les nouvelles de la Langue des papillons, Rivas a déjà conté les ambiguïtés sanglantes de la dictature. Son nouveau roman, plus épais et plus risqué, ouvert comme la ville à tous les vents, à toutes les voix, part de cet autodafé méconnu. Ou plutôt il tourne autour.
A travers les personnages, les uns acteurs, les autres spectateurs, il observe les bûchers, plonge dedans, feuillette les condamnés, en extrait certains, leur donne une histoire, disperse les paroles, les témoins, ses chapitres et les cendres, tantôt vers le passé, tantôt vers l'avenir, tantôt vers Cuba, tantôt vers la rue voisine, dans un désordre débordant et débordé, puis y revient, sans cesse, pour finir un demi-siècle plus tard dans la bibliothèque d'un juge franquiste où dort un rescapé, une Bible de 1837 dédicacée par un condamné au militaire galicien qui l'a sauvé.
Avant d'écrire, Rivas a lu, regardé, beaucoup interrogé : «Mon imagination procède par cercles concentriques. Le premier est documentaire ; le second, oral ; le troisième, fermenté. A un moment, j'ai failli abandonner. Tant que j'étais dans la fumée du bûcher, je voyais. Elle envahissait les bâtiments publics, les maisons, les cerveaux, les coeurs. Quand