Un cru bourgeois du Médoc, dont le nom évoque la tristesse et la façon de s'en débarrasser, aime à orner ses étiquettes de phrases des grands poètes. Marotte inoffensive, à l'efficacité commerciale douteuse. Pour le millésime 2005, après consultation diagonale d'une anthologie de la poésie contemporaine, les propriétaires du château bordelais avaient choisi l'inoxydable incipit de Brise Marine (Mallarmé) : «La chair est triste hélas ! et j'ai lu tous les livres.» Problème : après un choix d'une si foudroyante originalité, vers quoi, vers qui se tourner pour le millésime 2006, celui-là même qui va débouler dans les foires aux vins de nos supermarchés ? Par exemple, était-il opportun d'embrayer sur le deuxième vers du poème de Mallarmé : «Fuir ! Là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres» ? Les vins bénéficiant de l'appellation Moulis-en-Médoc s'en seraient-ils jamais remis ?
Les propriétaires ont préféré changer radicalement de cap en faisant appel pour la première fois à un écrivain vivant, a priori bien portant, si possible bon vivant, et bizarrement leur choix s'est porté sur Jean Echenoz. Plus étonnant encore, l'auteur de Cherokee a accepté la proposition. Voici le texte qu'il a expédié, sans commentaires : «Adieu caserne humide, adieu brutal climat.»
Cet alexandrin a laissé les maîtres du château profondément perplexes. «Au début, nous avons été glacés, nous a confié l'un d'eux. Mais ensuite nous avons pensé