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Libération
Critique

Rancoeurs de pierre

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par Jacques PERRIN
publié le 18 septembre 2008 à 5h04

«Le pas vert des gouttes de pluie», c'est l'ordalie au quotidien des femmes afghanes contraintes au tchadri, à la soumission et à l'humiliation. L'expression est d'une jeune poète d'Herat, Nadia Anjuman. «Ni sourire au recueil de leurs lèvres. Ni larme pointant du lit tari de leurs yeux. Dieu ! Je ne sais si leur cri lourd peut atteindre les nuages. Ni même le ciel ?» écrivait-elle, peu avant d'être sauvagement battue, jusqu'à la mort, par son mari. Sans doute Nadia Anjuman hante-t-elle ce quatrième livre, à la fois roman et récit, d'Atiq Rahimi, qui, avec sa pudeur habituelle, a seulement cité les initiales de la jeune femme dans sa dédicace. Elle et beaucoup d'autres, toutes soeurs dans le désespoir de leurs vies éteintes, dont les voix ne sont jamais entendues, dont les révoltes demeurent enfouies, dont les plaintes n'ont jamais franchi le bord des lèvres.

Moribond.Ce «cri lourd», qui n'atteint ni ciel ni nuages, Rahimi va s'employer à le remonter jusqu'à sa source. Point de départ de l'histoire : un moudjahid blessé d'une balle dans la nuque pour une injure jetée à la figure d'un autre, vivant mais inconscient, et sa femme, à son chevet, qui s'occupe de la perfusion. Les jours s'écoulent au rythme des respirations de l'agonisant, des grains du chapelet qu'elle égrène tout en récitant les 99 noms de Dieu, ce qui est censé fait revenir le moribond à la vie. Dehors, la guerre rôde jusqu'à la porte de la maison du couple, située sur la ligne de front. Les