J'ai, vers l'âge de 12 ans, tiré sur un pauvre chat avec une carabine à air comprimé, mais l'animal s'en est sorti me semble-t-il. J'ai emprunté la moto de mon frère aîné, raté un virage, plié la fourche, ramené l'engin, laissé un de mes autres frères se faire accuser à ma place : j'en profite pour présenter ici mes excuses à l'intéressé même si, trente-cinq ans s'étant écoulés depuis cette indélicatesse (j'avais 16 ans), la prescription est évidente. Enfin, cet été, j'ai abandonné dans une chambre d'hôtel de Carteret (Manche) un exemplaire du pesant Arc-en-ciel de la gravité, de Thomas Pynchon : au bout de 150 pages, je n'en avais toujours pas trouvé la porte d'entrée et je craignais que cet ouvrage de 761 pages n'alourdisse inutilement mes bagages au retour. De ces trois crimes, le dernier est sans doute le plus grave, en tout cas celui qui me fait éprouver le plus de remords, parce que, primo : on ne devrait jamais laisser un livre derrière soi ; secundo : abandonner un Pynchon compte double, et, tertio : ce pavé m'avait été prêté par une amie. Qu'elle aussi veuille bien trouver ici l'expression sincère de mes regrets.
La conscience ainsi chargée, c'est avec ivresse que j'ai pris connaissance des résultats de l'enquête annuelle publiée par la chaîne hôtelière Travelodge : elle recense les livres abandonnés par les clients de ses 336 établissements des îles britanniques. D'abord ce chiffre global sur la saison 2007-2008 : quelque 7 000 cadavres ont été retrouvés dans