Les mille cinq cents pages que publie en cette rentrée Alain Fleischer ont peut-être, par-delà leurs différences de ton et de genre, un point commun : la question du temps mythique, de l'éternel retour. L'écriture de Fleischer est archéologique, presque immobile mais opérant par oscillation pénétrante, forant jusqu'à mettre à jour l'oeil nu du réel.
Montage.C'est le cas avec le Carnet d'adresses, où l'auteur reprend un vieux répertoire dont tous les «habitants» ont changé de numéro et d'adresse ou bien ont quitté l'orbe de ses occupations. Une sorte de tranche d'existence des années 70, essentiellement centrée sur le cinéma, les producteurs, attachées de presse, laboratoires. On y croise Chantal Akerman, Juliet Berto ou Pierre Clémenti, mais aussi Buren ou Barthes, car seules figurent dans cet exercice de remémoration les lettres A à C. Entre anecdotes et coïncidences passionnantes, les souvenirs s'émaillent d'appels aux retrouvailles, d'aveux d'oubli qui sont des ouvertures plutôt que des impasses : «Il n'est jamais trop tard», écrit Fleischer, s'enjoignant peut-être, comme il le note à propos de sa lecture de Blanchot, à continuer «d'avancer, au-delà du livre, mais comme issu de lui, son survivant, dans un espace de nuit ouverte, n'offrant aucune résistance, toute vie suspendue, toute mort arrêtée».
Le même mouvement se retrouve dans certains des articles des Laboratoires du temps, en particulier l'un, très émouvant, intitulé «En remontant Renoir»