Professeur à l'université de Yale aux Etats-Unis, Jay Winter est aussi l'un des membres fondateurs du Centre de recherche de l'Historial de Péronne (Somme) et l'un des historiens dont l'œuvre a le plus fortement infléchi notre compréhension de la Grande Guerre. Paru en anglais en 1995, Entre deuil et mémoire, qui vient d'être traduit en France, est sans doute son livre le plus achevé (1). L'historien s'y élève contre l'interprétation classique qui fait de la Première Guerre mondiale le grand accélérateur de la modernité culturelle. En plaçant la douleur et le deuil au centre de l'étude, il montre à l'inverse combien le conflit a réactivé les formes les plus traditionnelles de la création, qu'on pensait porteuses d'apaisement et de consolation. Analysant les rituels du deuil, les mémoriaux, les pèlerinages ou l'étrange «épidémie d'occultisme» qui surgit alors, il insiste sur la dimension conservatrice et sacrée de ces pratiques. L'analyse de la production artistique va dans le même sens. Il fallait donner un sens à la mort, ce que ni l'ironie, ni la rupture ou le paradoxe du modernisme ne pouvaient assurer. C'est donc l'épique, le répertoire religieux ou romantique, Holbein, Grünewald ou la Pietà qui nourrissent les langages esthétiques de la guerre. L'Apocalypse obsède les peintres et les poètes qui font du retour des morts un thème privilégié. A l'instar de l'Ange de l'Histoire de Benjamin, on entrait dans l'avenir les yeux tournés vers le passé.
Interview
1914-1918 à chacun sa mémoire
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par Dominique Kalifa
publié le 3 novembre 2008 à 6h51
(mis à jour le 3 novembre 2008 à 6h51)
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