Nul plus que Camus n'aura mesuré à quel point le spectre qui hante l'histoire du XXe siècle est d'abord celui du nihilisme qui consiste moins, comme on voudrait le faire croire, dans l'effondrement de toutes les valeurs (morales, religieuses et autres) que dans un consentement aveugle et meurtrier à l'instinct de mort à l'œuvre dans l'histoire. Lorsque, recevant le prix Nobel de littérature en 1957, il fait du service de la vérité et de celui de la liberté, dressés contre le mensonge et contre la servitude, la double tâche de l'écrivain, c'est avec le souvenir des errances qui auront conduit tant d'hommes de sa génération à se précipiter dans les aventures de la destruction. Rien, dès lors, ne s'impose davantage, à l'écrivain comme au journaliste, que l'exercice d'une vigilance renouvelée, à l'encontre de toutes formes de caution et de justification, idéologiques, religieuses ou politiques qui, sous couvert d'une exigence de justice, pourraient être apportées au meurtre.
La plupart des œuvres écrites au lendemain de la guerre, à commencer par les Justes (1949), l'Homme révolté (1951) et les Chroniques algériennes (1939-1958), mais aussi ses Réflexions sur la guillotine (1958) en portent la marque. L'un des atouts majeurs de la nouvelle édition des œuvres de Camus dans la bibliothèque de la Pléiade qui privilégie le principe d'une présentation chronologique des œuvres est d'en rendre possible une perception accrue. Dans les tomes