Etre écrivain, c'est vivre une fiction. Alexis Léger, dit Alexis Saint-Leger Leger, dit Alexis Saint Léger-Léger, dit Alexis Saint-Léger Léger, dit Saint-John Perse, prince du verset et roi de la doublure, est sans doute celui qui a le plus imaginé, vécu et reconstruit la sienne. Il l'a fait avec un sens orgueilleux de la manipulation, de l'ornement et de l'image, égal à sa foi littéraire, à son génie physique du mot, à ses ambiguïtés politiques et, finalement, à sa naïveté prophétique. Le début d'Anabase, écrit en Chine et publié en 1924, résume assez bien son programme et son enluminure : «Sur trois grandes saisons m'établissant avec honneur, j'augure bien du sol où j'ai fondé ma loi.»
Cette loi, il en fixe les tables en 1972, trois ans avant sa mort, lorsque ses œuvres complètes sont publiées dans la Pléiade. Le volume a été composé par lui seul : c'est un acte d'enfance et le tombeau d'un pharaon. Sa pompe elliptique et son obscure clarté continuent d'aérer ceux que la vie étouffe, en donnant forme et volonté à leur souffle : «Le pan de mur est en face, pour conjurer le cercle de ton rêve. Mais l'image pousse son cri.» On y trouve une biographie détaillée, la dizaine de recueils parfois légèrement modifiés, ses témoignages littéraires ou politiques, et des centaines de lettres (à Gide, à Larbaud, à Claudel, à sa mère, à ses ministres, à de Gaulle qu'il déteste, à Roosevelt dont il aimerait être l'élu français…). La vie et l'œuvre défilent sous le cont