Au panthéon des empoisonneuses, ces figures majeures de la criminalité féminine, Mme Lafarge prend place aux côtés de Violette Nozière et de Marie Besnard ; elles sont pareillement au cœur d'affaires que les chroniques judiciaires ont désigné par leur patronyme. Mais au fait, s'interroge Arlette Lebigre, qu'est-ce qui élève un crime au rang d'affaire et le distingue de la masse de ceux qui, blessures indélébiles dans l'histoire familiale, sont vite effacés de la mémoire collective ? La publicité du criminel ou de sa victime, l'atrocité de la procédure meurtrière, la répétitivité de l'acte, le doute sur la culpabilité de l'incriminé sont les éléments constitutifs, isolés ou cumulés, d'une affaire.
Seul le dernier critère s'applique à l'accusation portée contre Mme Lafarge : cette jeune femme de 24 ans, fille d'un colonel d'artillerie, petite-fille issue de la liaison illégitime de Mme de Genlis et de Philippe-Egalité, tôt orpheline mais élevée comme les petites filles modèles de la Comtesse de Ségur, est en 1840 condamnée à la prison à perpétuité pour avoir fait ingérer de la mort-aux-rats à son mari, terne petit notable d'une Corrèze maussade. Sa belle-famille, principalement sa belle-mère hargneuse et jalouse de l'emprise de la jeune épouse sur son fils, a témoigné contre elle. Le recours, pour la première fois, à des experts n'a pas éliminé les doutes : l'interprétation des événements tant à charge qu'à décharge est une évidence. Aussi, le l