Certes, il ne faut pas «prononcer le nom de Dieu en vain». Il arrive pourtant qu'on s'écrie «oh! mon Dieu» ou «nom de Dieu!», si on a peur, si on s'étonne, ou si on se donne un coup de marteau sur les doigts. Mais que dit-on en disant, sans trop réfléchir : «Seul un Dieu peut encore nous sauver» ? Eh bien, que devant un danger trop grand, une situation inextricable, la propagation du mal, l'omniprésence de la barbarie, la folie des hommes, les hommes, constatant leur impuissance, s'en remettent à une «puissance supérieure». L'homme ne peut rien, Dieu peut tout : on voit qu'en acceptant ou en refusant cette proposition - du bout de l'âme ou de tout son cœur - il est possible d'arriver à un éloge ou à une critique de la religion, de l'athéisme, de l'humanisme, etc. Mais lorsque cette même phrase est prononcée (1) par un philosophe tel que Martin Heidegger, quel sens peut-elle revêtir ? De quel Dieu s'agit-il ? Celui dont Nietzsche proclame la mort ? Celui dont Hölderlin dit qu'il est «proche et difficile à saisir» ? Et de quoi doit-il sauver ? De sa propre absence et du délaissement des hommes ? Du désert de sens dans lequel le désir de maîtrise technicienne a laissé le monde ?
Rage. Dans un de ses précédents ouvrages, intitulé justement Seul un dieu peut encore nous sauver (Desclée de Brouwer, 2002), Bernard Sichère avait fait de cette déclaration «énigmatique» la clé de tout le «parcours de pensée» de Heidegger. Dans l'Etre