Pas plus que le soleil ou la mort, l’événement ne semble pouvoir être regardé fixement : il n’y a que les imbéciles et les éditorialistes pour avoir l’indélicatesse de croire qu’il ne les aveuglera pas. Depuis la Ligne de front, Jean Rolin l’observe de manière oblique, en contemplant absolument un coin de la scène, de guerre, d’abandon ou de désolation. Il l’expliquait fort bien, en 2003, dans Chrétiens, en débutant sa description de Gaza par celle d’une relique de la taille d’une cuisse de poulet, attribuée à l’ermite grec saint Porphyre qui imposa difficilement sa religion à la ville : «Gaza est un si gros morceau qu’il peut paraître inconvenant de s’y attaquer avec la description d’un petit os. Mais mon entreprise n’est-elle pas dans son ensemble inconvenante et hors d’échelle ?» C’est précisément l’inconvenance de cette perpétuelle digression qui fait tout l’à-propos de l’écrivain, et sa sortie d’échelle qui, par la précision distanciée du regard et la matière ironique de phrases aux incises proustiennes, la rétablit dans sa justesse. En résumé, c’est par l’immersion dans le détail que les mots de Rolin remontent, comme les bulles lâchées par le plongeur, vers le tout. Le Cubain José Martí affirmait que «toute la gloire du monde se trouve dans un grain de maïs». Et toute sa misère et son absurdité, pourrait-on ajouter, dans les déplacements ou les aboiements d’un chien.
Féraux. Un chien mort après lui évoque ce