Gina a trahi son mari, son mari qui est son salut et sa délivrance. «Je n'avais aucune idée de ce que cela pouvait signifier d'aimer quelqu'un jusqu'à ce que je le trahisse.» Elle nous le dit dès la première page, il n'y a donc pas de suspense, mais c'est un choc quand elle y revient plus tard parce que Victoria Lancelotta a une façon d'écrire telle que, même quand les choses sont dites, c'est comme si elle nous avait décrit la surface de l'eau, et qu'elle plonge et replonge dans les profondeurs du lac.
Noirceur. Le roman, dont le titre original est Broken, brisé(e), raconte le mariage de Gina et de Daniel du point de vue de Gina («C'est vrai que je l'aimais. Je l'aimais suffisamment») et aussi la vie de Gina avant son mariage. On y retrouve l'écriture des nouvelles d'En ce bas monde (Libération, du 27 mars 2003), la violence de Victoria Lancelotta dans sa description du sexe, de la noirceur des sentiments, de la quasi-impossibilité de l'amour. Cœurs blessés est aussi un récit sur la honte sociale. Il porte un regard sur l'aisance de ceux qui ont tout, ceux dont même le naturel et la gentillesse, surtout le naturel et la gentillesse, sont insupportables et humiliants pour ceux qui ne les ont pas.
Gina ne les a pas, contrairement à Daniel et à sa famille. Elle n'a ni l'aisance ni la grâce de ceux qui sont bien nés, on parle ici de la classe moyenne américaine, pas plus, mais c'est déjà très loin de chez elle