«Très vite dans ma vie il a été trop tard», écrit-elle. «A 18 ans, j'ai vieilli. Je ne sais pas si c'est tout le monde, je n'ai jamais demandé. Il me semble qu'on m'a parlé parfois de cette poussée du temps qui vous frappe quelquefois alors qu'on traverse les âges les plus jeunes, les plus célébrés de la vie. Ce vieillissement a été brutal. Je l'ai vu gagner mes traits un à un, changer le rapport qui existait entre eux, faire les yeux plus grands, le regard plus triste, la bouche plus définitive, marquer le front de cassure profonde.» Marguerite Duras, à 82 ans, n'est pas morte de la vieillesse de son adolescence - mais de l'autre vieillesse, celle, «normale», lente, inexorable, du devenir, de la sénescence.
A cette dernière, on peut ne rien opposer d'autre qu'une acceptation passive, ou répondre par une plasticité, en apprenant progressivement à donner forme au déclin, à inventer en quelque sorte sa vieillesse, à «s'y faire», sinon à «rester jeune». Mais comment faire face à la première, à la vieillesse inopinée, qui, quel que soit l'âge, fait tout basculer d'un seul coup, comme le font un «accident idiot», une mauvaise nouvelle, un deuil, une rupture, un déraillement de l'existence ? Comment penser ce type particulier de métamorphose qui «correspond à un adieu de l'être à lui-même» mais qui n'est ni la folie ni la mort ?
«Tranchée profonde».Dans le sillage des Nouveaux blessés, de Freud à la neurologie : pense