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Libération
Critique

Brou, être et ne pas paître

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Paperoles. 773 fragments de romans qui auraient pu exister.
publié le 19 mars 2009 à 6h53

Tandis que la France avance et qu'une certaine marque de voiture accélère, des écrivains parviennent à maintenir une vitesse de réalisme raisonnable : «Je me mens une vie, je me réveille un jour l'esprit vide mais avec à la place une peur vertigineuse : le présent ne viendra jamais, ma vie n'aura été qu'une introduction à quelque chose qui n'est pas venu…» Pour son quatrième livre, Jacques Brou, né en 1966, choisit la forme du fragment ou de l'aphorisme numéroté, comme autant d'extraits de romans qui auraient pu exister. Ces «773 paperoles trouvées dans les poches d'un homme» sont un manuel de saine désespérance mais aussi, comme le titre l'indique, une «machine à être» ou une sorte d'autobiographie en purée : un moyen de tenir ensemble, non dans l'érection et la fierté, mais par le trou et la fuite.

«Machin».On songe à Cioran ou à certaines citations de Beckett : «Ce que je fais dans la vie au départ c'est rien, j'être rien, j'y arrive sans trop d'effort car je suis difficilement, je souffre d'une vacance au machin.» Une langue informelle et familière, façon entretien d'embauche à la vie, mais avec induration des tissus : verbe qui regimbe à se laisser conjuguer, signifié qui se carapate, adverbe la culotte à l'envers. Tout l'effort de cette parole circulaire et cynique vise à se saisir, dire sa difficulté d'être, sa virtualité frustrée («je suis plein de choses qui peuvent») mais en vain : «J'ai eu la langue hachée.»

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