Albert Piette est anthropologue et membre de l'Institut Marcel Mauss (EHESS-CNRS). Son dernier livre paru : l'Acte d'exister (Socrate Éditions).
Comment se fait-il que les sciences sociales ne s’intéressent pas au bonheur des humains ?
Il y a une sorte d’habitude qui les oriente vers l’actualité, les faits saillants (délinquance, pauvreté, chômage, immigration…) par opposition à la tranquillité de fond de l’être humain. Max Weber parle lui-même de l’actualité comme critère du bon objet sociologique. Par ailleurs, la tentation critique de la sociologie correspond bien à l’engagement politique au moins implicite des sciences sociales. Il me semble aussi que la tranquillité est une donnée anthropologique fondamentale de l’être humain, alors que les sciences sociales s’intéressent aux diversités sociales ou culturelles.
Vous parlez de tranquillité plutôt que de bonheur. Quelle est la différence ?
J’associe la tranquillité à un mode de présence spécifique des hommes se posant sur des appuis (des repères, des lieux, des horaires). Peut-être pourrions-nous parler de bonheur quand cette tranquillité est explicitement ressentie par l’être humain. Il y a aussi des bonheurs qui sont «intranquilles» : le travail de création, de construction, d’invention, la recherche de nouveaux repères.
L’intranquillité correspondrait à la perte d’un repère. Elle peut envahir la toile de fond quotidienne dans le cas de souffrance, de deuil, d’absences. Mais, là aussi, l’être humain va chercher de nouveaux repères. Comme si, pour vivre et survivre, il devait nécessairement générer de la tranquillité.
D'où l'exemple de Primo Levi qui, dans la pire des situations, l'a