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Libération
Interview

«On n’est pas jaloux du malheur des autres»

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Entretien. Monique Jeudy-Ballini, anthropologue spécialiste des Sulka :
publié le 2 avril 2009 à 6h52
(mis à jour le 2 avril 2009 à 6h52)

Monique Jeudy-Ballini est membre du laboratoire d'anthropologie sociale du Collège de France. Elle a travaillé sur les Sulka de Papouasie Nouvelle-Guinée. Dernier livre publié (avec Brigitte Derlon) : la Passion de l'art primitif, enquête sur les collectionneurs (Gallimard).

Pour un Sulka, c’est quoi le bonheur ?

Paradoxalement, pour des gens qui vivent sur une île, la mer n’est pas si importante, ils ne se baignent pas pour le plaisir et la pêche n’est pas valorisée, on la laisse aux enfants. Mais ce sont des horticulteurs. Ils marchent deux heures pour atteindre leur jardin à flanc de montagne, ils débroussaillent la forêt avec des outils rudimentaires, c’est un travail très pénible, mais ils en parlent avec exaltation. Dans ce travail, il y a des moments de pause, ils s’asseyent, regardent leur jardin, ils fument, ou chiquent du bétel, ils bavardent ou pas. Mais ils sont dans un état d’absorption, de contemplation, de plénitude.

Il y a aussi les échanges rituels. Chez les Sulka, les choses n’acquièrent de valeur qu’en circulant, que ce soit un objet, un porc ou un enfant, l’adoption est très pratiquée. L’échange montre la capacité d’un villageois à activer ses réseaux de coopération. Quand il réussit à réunir une grande quantité de porcs et de tubercules, il ressent soulagement et apaisement. Le bonheur vient de l’idée qu’on a agi selon la coutume, du sentiment d’appartenance. Ce qui donne une valeur aux actes, c’est qu’ils ont un précédent : je fais ça parce que mes ancêtres le faisaient. Contrairement