Robert Castel est né en 1933, à une époque où la cigarette allait de pair avec le fait «d'exister comme un individu». Il y a deux ans, le sociologue avait salué l'interdiction de fumer dans les cafés et restaurants en publiant, dans Libération, un texte où il proposait que, désormais, il existe des cimetières fumeurs, bien loin des cimetières non-fumeurs. Et lorsqu'il répond au journaliste, dans un sous-sol capitonné des éditions du Seuil, son premier réflexe est de sortir sa cigarette. Il se ravise, effet de la muette et omniprésente interdiction. Répond avec une patience infinie. L'entretien terminé, il ira dans la cour pavée, s'en griller une.
La question de la cigarette n'est pas évoquée dans le dernier livre de Robert Castel. En revanche, les conditions qui permettent à un individu «d'exister comme un individu à part entière», «de se conduire comme un sujet libre et responsable» font l'objet d'une somptueuse conclusion. Retraçant la généalogie de «l'individu hypermoderne», Castel montre comment l'individu s'est d'abord défini par la propriété privée, celle-ci étant définie comme ce qui protège et offre les moyens de l'autonomie. Posséder, c'était devenir citoyen de plein droit : «Les gens de bien sont bien parce qu'ils ont des biens.» Lorsqu'au milieu du XIXe siècle, il s'avère que tout le monde ne peut avoir sa propriété privée, naît l'idée de faire dépendre les protections nécessaires à l'homme non plus de ses bie