Jamais il n'a pu oublier la phrase de la vieille femme murmurée sur le seuil d'un appartement d'un immeuble délabré de la grande banlieue de Moscou : «Surtout ne parlez pas anglais dans le couloir.» Des mots pleins de terreur, encore lourds des souvenirs des purges staliniennes. C'était en 1979. Dans un petit cahier bleu, Robert Littell avait transcrit les notes de sa rencontre avec Nadejda, veuve du poète Ossip Mandelstam, mort de faim et d'épuisement en 1938 au goulag où, toutes les nuits, en échange d'un quignon de pain ou d'une cigarette, il récitait ses vers aux droits communs, rois de ce camp de l'extrême Orient sibérien. «Le siècle chien-loup qui sur moi s'est jeté/ Mais pas de sang de loup dans mes veines», chantaient les vers de celui qui fut peut-être le plus grand poète russe du XXe siècle, déporté pour avoir écrit une épigramme contre Staline - «le montagnard du Kremlin, le bourreau et l'assassin de moujiks.»
«Tout ce que j'ai écrit depuis trente ans tourne autour de cela, mais Nadejda et Ossip étaient pour moi comme des icônes et je n'osais pas m'y lancer», explique l'écrivain septuagénaire, grand maître du récit d'espionnage, auteurs de best-sellers comme la Boucle, Ombres rouges ou la Compagnie, roman choral sur la CIA, devenus autant de classiques sur la guerre froide. Puis, finalement, il a franchi le pas, se replongeant dans le petit cahier bleu et les mémoires de Nadejda Mandelstam, dévorant des