On reproche parfois aux philosophes de caresser les questions au point de les rendre vicieuses et de les compliquer à loisir pour qu'elles deviennent insolubles. On part pour un long voyage si on se demande, par exemple : «Que peut-on savoir ?» Mais on s'ouvre en effet à des abysses si on tourne la question en vinaigre : «Que ne sait-on pas ?» Il serait pourtant vain de soutenir que les «questions dernières» sont vaines : chacun, un jour ou l'autre, confronté à un avenir incertain, à une liberté menacée, à l'ignorance, à la disparition, au choix, à l'absurde, à l'attente, à l'abandon, au besoin de se regarder dans une glace pour savoir ce qu'il a fait de sa vie, ou de la vie des autres, s'y trouve, qu'il le veuille ou non, confronté. C'est pourquoi la philosophie, que son langage peut rendre lointaine, est si proche : elle ne s'éloigne jamais du «centre de tous les rapports» où se joue le sens de l'existence.
C'est un sentiment de ce genre que l'on éprouve en ouvrant Ce qui advient de Kostas Axelos. Le «Liminaire», censé inviter à la lecture, n'est pas loin de la paralyser : «Il y va principalement de ce qui advient et non pas de tel ou tel advenir, de tel ou tel devenir ou du devenir en général.» On croit entrer dans quelque lieu sacré, qu'il faut parcourir en semelles de crêpe, dans le silence… Pas d'exposé systématique, pas d'aphorismes non plus : une «écriture fragmentaire», ciselée avec un soin artisanal, 342