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Libération
Critique

L’Amérique raque

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Survivant. La vengeance débridée d’Edgar Hilsenrath.
publié le 7 mai 2009 à 6h52
(mis à jour le 7 mai 2009 à 6h52)

En 1952, la famille Bronsky arrive par bateau dans un Manhattan tout embrumé. «"J'aurais bien aimé voir la statue de la Liberté", dit Nathan Bronsky. "Moi aussi", dit sa femme. "Pourquoi la statue de la Liberté s'est-elle cachée dans le brouillard ?" "Je n'en sais rien", dit sa femme.» Un peu plus tard, leur fils Jakob, la vingtaine mais en paraissant quarante, devenu livreur de sandwichs, entreprend de violer une de ses clientes qui ne l'a pas regardé dans les yeux en lui donnant son pourboire. Elle menace d'appeler la police. «Ne faites pas ça !» prévient-il. «"Pourquoi ?" "Parce que j'ai un couteau dans la poche." "Vous voulez me tuer ?" "C'est ça. Pourquoi vos nichons sont si gros ?" "Je ne sais pas." "Et vos yeux si grands ?" "Je ne sais pas."»

Angoisse. Jakob a indubitablement reconnu en cette secrétaire de direction le «Consul général des Etats-Unis d'Amérique». Statue inaccessible et arrogante, qui s'offre quand on n'a plus besoin d'elle mais se refuse au moment vital. C'est ainsi que Fuck America, les aveux de Bronsky, avait commencé. Par une série de suppliques adressées en 1938 au consul américain de Berlin : «Depuis hier, ils brûlent nos synagogues. Les nazis ont détruit mon magasin, pillé mon bureau, chassé mes enfants de l'école.» Il faut émigrer. Hilsenrath, né en 1926 et qui raconte à peu près là l'histoire de son père, fait répondre au consul des lettres hilarantes d'horreur, où le refus d