Le lundi 1er juin, à 11 h 37 très précisément, vous aurez rendez-vous avec une jolie femme. Vous la trouverez nue dans son bain. Elle aura un livre entre les mains : le tome II du Côté de Guermantes, c'est-à-dire le quatrième volume de la Recherche du temps perdu. Elle sera en train de lire à haute voix un passage d'une grande sensualité car, vous l'avez peut-être oublié, le grand œuvre de Marcel Proust est truffé d'épisodes que la langue contemporaine s'autoriserait à qualifier de «chauds».
Mais avant de vous confier le lieu du rendez-vous, il nous faut vérifier que nous sommes bien d'accord, vous et nous, sur un point essentiel. Qu'évoque pour vous le mot «mousmé» ? Le narrateur de la Recherche, lui, ne l'aime guère, et le trouve même «horripilant». Il écrit : «A l'entendre on se sent le même mal de dents que si on a mis un trop gros morceau de glace dans sa bouche» (ce n'est sans doute pas la plus élégante ni la plus précise des métaphores proustiennes). Oui mais voilà, c'est Albertine qui a prononcé ce mot de mousmé, et cela change tout. Car en employant un terme qui, d'évidence, ne lui vient pas de son milieu familial mais de sa fréquentation du monde, l'ex-«jeune fille en fleurs» montre ainsi qu'elle a grandi, mûri, bref qu'elle est devenue femme. Et l'irruption de ce mot dans sa bouche, plus encore que la croissance de sa poitrine, provoque chez le Narrateur un véritable émoi sexuel. Une érection lexicographique ?