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Libération

Le mangeur d’otium

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publié le 4 juin 2009 à 6h53
(mis à jour le 4 juin 2009 à 6h53)

Il a dû trop fumer, Marc Fumaroli. La fumette l'a déporté entre Poussin et Parmesan, dans un salon inspiré par les Princes et l'Antique, une backroom chic et catholique où le client caresse des images enchantées d'une main désenchantée. Comme un vieil asiate, il n'en est pas revenu. Il déploie ses rêveries, ses descriptions, ses jugements, ses langueurs, ça n'en finit plus. Il fume non pas de l'opium, mais de l'otium. L'otium, c'est l'oisiveté créatrice comme l'imagination qui en naît. Etat auquel le capitalisme contemporain a fait la peau, paradis perdu, mot romain qu'il emploie sans cesse : le latin de messe, quand elle est dite, impressionne ceux qui n'y vont plus. On est d'accord avec lui pour l'aimer, le pratiquer, et même pour le trouver indispensable, cet otium. Mais sans oublier ce qu'il a toujours été : un privilège.

Si l'on suivait jusqu'ici volontiers Fumaroli dans sa fumette érudite, c'est d'abord parce qu'il est le plus intelligent de tous les vieux cons. Ou, pour le dire dans les convenances, des «antimodernes». Cette catégorie pleine de distinction, entre dandysme à fraise et mélancolie agressive, a été analysée par Antoine Compagnon (Gallimard). C'est une catégorie vivifiante, puisqu'elle passe l'idiotie moderne au gant de crin ; éducative, puisqu'elle précise la présence des morts ; mais souvent stérile, car trop de mauvaise foi et d'ébriété nostalgique fausse le regard. En résumé, l'«antimoderne» passe son temps à dénoncer