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Libération
Interview

«Le sens de l’histoire a été suspendu»

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Entretien. Le philosophe Jean-Luc Nancy montre comment s’est arrêtée la «pensée de l’émancipation».
publié le 4 juin 2009 à 6h52
(mis à jour le 4 juin 2009 à 6h52)

A 69 ans, Jean-Luc Nancy est l'une des figures majeures de la philosophie française contemporaine. Proche de Derrida et de Philippe Lacoue-Labarthe, il a écrit sur l'art, sur la politique, sur le cœur qui lui a été greffé il y a dix-huit ans (l'Intrus, paru chez Galilée en 2000) ou sur Mai 68 (Vérité de la démocratie, Galilée, 2008). Au départ, l'entretien qu'il a accordé à Libération devait porter sur la situation de la gauche. Au fil des réponses, la discussion s'est élargie à ce qui est «au-delà» de la politique : la métaphysique, le progrès, la maladie, la «présence».

Que vous inspire la situation de la gauche aujourd’hui ?

J’ai du mal à comprendre qu’autant de gens intelligents, informés, nourris de réflexions et d’expériences politiques, n’arrivent pas à faire mieux. Et, en même temps, je suis porté à les excuser tous, en bloc. Je n’ai envie de stigmatiser personne, sociaux-démocrates, ex-communistes ou autres, car la seule chose certaine, c’est la disparition massive de la gauche. Sur ce point, je crois être comme tout le monde, en tout cas ceux de mon âge : à un certain moment, entre 68 et 89, quelque chose a disparu. Dès 1991, lorsque le PS avait réalisé une grande enquête auprès des intellectuels, le document final prouvait, de manière douloureuse, que tout ce travail ne servait à rien. Une rupture était consommée entre «pensée» et «politique», et j’ai commencé à me dire que, à travers cet évanouissement déjà sensible, c’est autre chose qui était en train de s’arrêter. Ce qui n’empêche pas, bien