En 1947, Alfred Döblin rentre en Allemagne après quatorze ans d’exil en France et aux Etats-Unis. Il est aussitôt rejeté par de nombreux intellectuels allemands. Les uns lui reprochent d’être revenu dans les bottes des vainqueurs ; les autres, d’être devenu catholique. Un fils s’est suicidé en 1940, pendant la Débâcle. Un autre était engagé dans la France libre. Lui-même a souffert de l’isolement à Hollywood. Une vie difficile.
L'ancien médecin juif des quartiers populaires de Berlin a 70 ans, le succès exclusif de Berlin Alexanderplatz l'agace. Il est devenu l'homme de ce livre, vieux de vingt ans : «Un fantôme fabriqué de toutes pièces par une critique superficielle»,«réduit à une formule, l'écrivain du milieu, du monde interlope, des bas-fonds de Berlin» (1). Fassbinder en tire, en 1979, un excellent et fidèle feuilleton de 14 épisodes qui, par ses choix esthétiques (pourtant conformes à la gnôle du livre), alimente cette «formule interlope» (2). Or Döblin, c'est bien plus que ça : un puissant caméléon, un romancier qui change entièrement de monde à chaque roman ou cycle romanesque. Et qui, à chaque fois, révèle le fond du monde sur lequel il se pose ; son âme, pourrait-on dire.
En 1938, Borges écrit qu'il «est l'écrivain le plus versatile de notre temps. Chacun de ses livres (comme chacun des dix-huit chapitres de l'Ulysse de Joyce) est un monde à part, avec sa rhétorique et son vocabulaire spécial. […] Dans Wang-Lun (1915), le thème