La nostalgie du livre est une industrie sentimentale toujours florissante. Plus la littérature s’éloigne, plus ceux qui la craignent font de l’écrivain une figure héroïque et consensuelle, dans le genre ange déchu à plumes d’oie, que des professionnels de la narration déplacent avec agilité de décor en décor, comme Buffalo Bill ses Indiens. Ni une squaw ni un tomahawk ne doit manquer à la panoplie des regrets du peuple qui les a éliminés.
L'écrivain espagnol Carlos Luis Zafón, 45 ans, vit désormais à Los Angeles et c'est un excellent Buffalo Bill pour écrivains. Sur son site (en anglais), l'auteur rappelle que l'Ombre du vent (12 millions d'exemplaires vendus worldwide) est «le roman espagnol qui a eu le plus de succès dans l'histoire de l'édition depuis Don Quichotte».Le Jeu de l'ange, publié aujourd'hui en France, pourrait rejoindre les altitudes du précédent, avec lequel il entretient d'étroits rapports fictionnels. Il se déroule comme l'autre à Barcelone, mais un peu avant : de 1917 à 1930 (avec un bref épilogue en 1945, année où l'Ombre du vent débutait), en grande partie sous la dictature de Primo de Rivera.
Du précédent roman, on retrouve entre autres les libraires Sempere fils et père, et le «cimetière des livres oubliés». C'est un gigantesque labyrinthe secret, à poussière et courants d'air, dont la description rappelle la bibliothèque cachée du Nom de la rose, et la raison d'être, Fahrenheit