C'est un gros livre avec plein de gens dedans, plein de voix qui se souviennent de 1929. Des voix écourtées, un peu rembobinées, et même certaines qui racontent les souvenirs des autres, mais c'est dans l'ensemble assez fidèle. Sinon aux faits, du moins à l'image qu'un peuple veut donner de lui-même. Hard Times est un autoportrait de l'Amérique aux alentours de 1971, à la lumière de la Grande Dépression.
A première vue, on pense à la Misère du monde de Bourdieu, en plus vagabond et moins problématisé. Mais, en allant faire un tour sur le site Studsterkel.org, où sont conservés une partie des enregistrements qui ont donné naissance à ce livre et à d'autres, on se rend compte que les dizaines de personnes interviewées ne réagissent pas spontanément à des questions un micro tendu sous le nez, mais racontent, choisissent leurs mots, font des contes à leur façon, comme le suggère le sous-titre français, «histoires orales». En anglais, l'expression est «oral history», c'est-à-dire vraiment l'Histoire, non pas des universitaires, mais celle transmise oralement - ou brouillée d'une génération à l'autre, comme pour Tad, 20 ans au début des années 70 : «C'est quelque chose qui a filtré par mes parents. Je n'en sais pas grand-chose, et ça ne leur fait rien que j'en sache si peu. Ils contrôlent la source de l'information - un peu comme un grand prêtre : il ne faut pas s'approcher trop près de l'autel, on risque de tomber raide mort.»
Bo